Opiacées : explosion des overdoses aux Etats-Unis
L’épidémie d’opiacés touche toutes les couches de la société américaine
En moyenne, 91 Américains meurent chaque jour d’une overdose liée aux opiacés et plus de deux millions de personnes sont actuellement dépendantes d’antidouleurs vendus sur ordonnance. Adolescents, hommes d’affaires, sportifs, anciens militaires, mères et pères de famille, grands-parents, riches, pauvres, noirs ou blancs : personne n’est à l’abri des pièges d’une forte dépendance aux opiacés. Qu’ils soient devenus dépendants en suivant un traitement médical ou en prenant des drogues « récréatives », ils risquent tous d’y sacrifier leur vie. Les opiacés ne faisant aucune discrimination.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
En quelques mots, cette épidémie est causée d’un côté par la cupidité de l’industrie pharmaceutique, et de l’autre par une ignorance de la part des consommateurs de la nature des antidouleurs vendus sur ordonnance et par un état d’esprit profondément enraciné consistant à « prendre une pilule au moindre désagrément ».
Tenez compte du fait que les États-Unis représentent moins de 5 % de la population mondiale, alors que les habitants du pays consomment – chiffre stupéfiant – 75 % de la consommation mondiale de médicaments vendus sur ordonnance, sans parler des 70 % de drogues illégales. L’année dernière, 62 000 Américains environ sont morts d’overdose. Ce chiffre dépasse celui de toute autre année dans l’histoire, et plus de la moitié de ces décès étaient liés à des overdoses d’opiacés : un taux de mortalité équivalent à celui de la crise du SIDA à son pic le plus dévastateur dans les années 1990.
Ce problème mortel ne peut plus être ignoré. Non seulement les opiacés sont en train de détruire des vies et d’y mettre fin prématurément, mais ils sont aussi responsables de la progression qu’a connue l’Amérique au siècle passé en ce qui concerne les taux de mortalité. Les overdoses sont maintenant la cause principale de la mort chez les Américains âgés de moins de 50 ans. Dans une récente chronique, Nicholas Kristof, chroniqueur du New York Times a retenu l’attention des lecteurs par cette prédiction : « On s’attend à ce qu’autant d’Américains meurent cette année d’overdoses que pendant les guerres du Vietnam, d’Irak et d’Afghanistan combinées. »
Selon les centres de contrôle et de prévention des maladies, plus de trois décès sur cinq sont dus à une overdose impliquant un opiacé. Les morts causées par des overdoses d’opiacés ont quadruplé depuis 1999, et durant les dix dernières années, les décès involontaires par overdose impliquant des antidouleurs ont dépassé les décès dus aux drogues de la rue, comme l’héroïne et la cocaïne.
Fin octobre, l’épidémie de dépendance aux opiacés a été élevée au niveau « d’urgence de santé publique » par le Président des Etats-Unis.
Si les États-Unis sont le point de déclenchement de l’épidémie, la consommation abusive de médicaments sur ordonnance est un poison sournois répandu partout dans le monde. Les experts estiment qu’entre 26 et 36 millions de personnes dans le monde abusent d’opiacés.
Une Pilule dure à avaler
L’histoire commence par une puissante industrie pharmaceutique mondiale à la recherche de toujours plus de profit. Aujourd’hui, la dépense liée à la consommation de médicaments sur ordonnance est la troisième plus coûteuse dans le système de santé. C’est une statistique embarrassante, du fait que les laboratoires pharmaceutiques dépensent 4 milliards de dollars par an pour vendre leurs médicaments directement aux consommateurs (en évitant de faire appel aux professionnels) afin de créer une demande de leurs produits. Toutes les heures, 80 annonces de médicaments en moyenne sont diffusées à la télévision, en Amérique. Pas étonnant que la prise de cachets soit devenue banale et normale.
Les informations mensongères sur les antidouleurs sont au cœur de la crise des opiacés, qui a commencé dans les années 90. Les laboratoires pharmaceutiques ont commencé à vendre leurs nouveaux opiacés comme traitement de la douleur qui ne crée pas de dépendance. En même temps, leur marketing est devenu plus agressif, car ils ont appris à contourner les règlements de la Federal Drug Administration dans leur publicité. Le taux de prescriptions d’antidouleurs (et de prescriptions de médicaments en général) a considérablement augmenté. Les cachets étaient prescrits par des professionnels de la santé. Le fait qu’ils créent une dépendance a été caché, jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Pour faire croire que leurs antidouleurs étaient sans danger, les laboratoires pharmaceutiques ont mis en avant une lettre titrée « Dépendance rare chez les patients traités avec des narcotiques» (publiée à l’origine en 1980 dans le très respecté New England Journal of Medicine). L’auteur de cette lettre, le Dr Hershel Jick, basait son évaluation sur la supervision de patients hospitalisés, non pas sur la supervision de patients traités par des médicaments une fois qu’ils étaient rentrés chez eux. Lui-même a déclaré à l’Associated Press : « C’est absolument humiliant de penser que cette lettre adressée au rédacteur en chef ait été utilisée comme excuse pour faire ce que ces laboratoires pharmaceutiques ont fait. Ils se sont appuyés sur cette lettre pour répandre l’idée que ces médicaments ne créaient pas une grande dépendance. »
4 nouveaux consommateurs d’héroïne sur 5 ont commencé à en prendre après avoir pris des surdoses d’opiacés sur ordonnance.
Une équipe de chercheurs canadiens a trouvé que cet article avait été utilisé au moins 600 fois pour satisfaire les laboratoires pharmaceutiques. La communauté médicale étant mal informée, les praticiens de santé ont amené leurs patients à devenir dépendants de ces médicaments. En conséquence, de puissants antidouleurs opiacés ont été largement prescrits, devenant la catégorie de médicaments les plus prescrits aux États-Unis.
Le nombre de prescriptions a plus que triplé !
Selon l’Institut National sur l’abus des médicaments (NIDA), le nombre d’antidouleurs opiacés prescrits aux États-Unis est monté en flèche durant les 25 dernières années. Le nombre de prescriptions est passé de 76 millions en 1991 à presque 289 millions en 2016. Le ministère de la Santé et des Services sociaux rapporte que chaque jour plus de 650 000 ordonnances d’opiacés sont rédigées et que 3 900 personnes commencent à prendre des opiacés sans prescription médicale.
L’utilisation récréative (non médicale) des opiacés est une partie importante du problème. D’après l’Institut National sur l’abus des médicaments, 52 millions d’Américains ont utilisé des médicaments vendus sur ordonnance de façon récréative. Cela veut dire que 16 % de la population ont pris des médicaments qui ne leur étaient pas prescrits. Ces informations montrent la facilité avec laquelle les médicaments circulent entre les mains de ceux qui les ont obtenus légalement : 54,2 % en obtiennent gratuitement d’un ami ou d’un parent.
Dans l’ensemble, 4 à 6 % de ceux qui prennent des opiacés se tournent vers l’héroïne et 4 nouveaux consommateurs d’héroïne sur 5 avaient à l’origine commencé par prendre illégalement des opiacés sur ordonnance.
Quand le nombre d’ordonnances d’opiacés a augmenté à des niveaux astronomiques, les cartels de la drogue se sont mis à inonder d’héroïne les États-Unis. Cet élément s’est ajouté à l’épidémie d’opiacés, parce que les gens qui ne pouvaient pas se procurer des antidouleurs sur ordonnance ont pris de l’héroïne et du fentanyl, substance narcotique synthétique encore plus forte et plus mortelle (connue pour avoir provoqué le décès du chanteur Prince). La consommation et les overdoses d’héroïne et de fentanyl ont augmenté considérablement partout aux États-Unis dans toutes les tranches de la société.
La voie du rétablissement
La crise des opiacés est à présent en train de faire la une des journaux de manière régulière. Cela signifie que les gens sont prêts à écouter, à apprendre et à agir. Aux États-Unis, des mesures de répression ont été prises à l’encontre des médecins et des pharmaciens responsables de prescrire à outrance des antidouleurs.
Fin octobre 2017, l’épidémie de dépendance aux opiacés a été élevée au niveau « d’urgence de santé publique » par le Président des Etats-Unis.
La communauté médicale et les autorités travaillent ensemble pour modifier les protocoles, réduire le nombre de comprimés prescrits et fournir d’autres formes de gestion de la douleur. Les opiacés dangereux, menant à la dépendance ne seront donc plus la seule option pour traiter la douleur chronique, ou bien ne seront plus prescrits à ceux qui sortent d’interventions chirurgicales, d’accidents et de soins dentaires.
En France ce même phénomène est suivi. Un article paru dans 20 minutes titrait : Décès liés aux opioïdes: « En France, on a plus d’overdoses chez les patients douloureux chroniques que chez les usagers de drogue ». Il mentionne que de « 2000 et 2017, le nombre d’hospitalisations liées à une overdose aux opioïdes a bondi de +167 % et le nombre de décès entre 2000 et 2015 de +146 %. »
Actualité juillet 2019 : le site BFM Business relaie dans un article le point de vue de Jerome Powell, Président de la Réserve Fédérale américaine (FED). Celui-ci souligne à quel point l’explosion de la consommation d’opioïdes nuit à l’économie des Etats-Unis. Il affirme que cette épidémie pèse sur « la participation des jeunes gens et des jeunes femmes » au marché du travail, « C’est vraiment une crise nationale. »
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