À propos de l’économie
Ce que nos dirigeants politiques devraient savoir
Quand le mur de Berlin est tombé, en 1989, il était clair que le communisme en tant que système avait échoué. Mais ceux qui disaient alors que le capitalisme avait montré qu’il était le seul système viable, au mieux disaient une sottise, au pire proféraient un mensonge.
N’importe qui peut se livrer à une petite expérience très instructive en demandant autour de lui ce qu’est le capitalisme : les réponses seront multiples. Pour les uns c’est le pouvoir de l’argent, pour d’autres c’est la liberté d’entreprendre, pour d’autres encore c’est un système dans lequel on peut acheter et vendre ce que l’on veut dans un cadre de libre concurrence. Aïe ! Trop de réponses, cela signifie aucune en réalité.
Alors, dans quel système économique vivons-nous ? L’essentiel est de comprendre qu’il existe trois grands types d’organisation économique, qui d’ailleurs peuvent être simultanément en vigueur : le troc, l’économie de marché et le capitalisme.
Du moyen âge à nos jours
Partons du Moyen-Age. Le troc était le plus courant. Dans un village on pouvait échanger du bois pour se chauffer contre des légumes, de la viande contre un vêtement. C’était un système simple de coopération et d’échanges, mais évidemment limité. Il correspondait à un niveau de vie proche des besoins élémentaires.
Puis sont apparues les grandes foires, qui se tenaient pendant quelques jours, voire plusieurs semaines, dans telle ou telle ville et rassemblaient de nombreux marchands qui proposaient draperies, meubles ouvragés ou épices. Avec ces foires est née l’économie de marché, organisant la rencontre entre vendeurs et acheteurs. Il faut noter d’ailleurs que celle-ci s’est surtout développée à partir des grandes découvertes et de l’afflux de métaux précieux qui ont permis d’avoir plus de monnaie en circulation. Offre, demande, monnaie, tels sont les trois éléments de l’économie de marché qui s’est développée considérablement jusqu’à nos jours.
Mais il s’est passé aussi autre chose. Par activité, par talent ou par chance des personnes et des familles ont réussi à accumuler des fortunes parfois considérables. Il leur devenait alors possible d’armer des navires, de construire des ateliers puis plus tard des usines. Si l’on y regarde de près ces « capitalistes », autrement dit ces détenteurs de masses d’argent, avaient la possibilité de ne pas se soumettre aux lois de l’économie de marché. En voici un exemple : normalement le prix d’un bien correspond au rapport entre l’offre et la demande, mais celui qui dispose d’une fortune peut soit vendre à un prix inférieur le temps de ruiner ses concurrents, soit vendre à un prix très élevé s’il a acquis une position de monopole. Bref, les « capitalistes » disposent par la quantité d’argent d’une puissante liberté économique. Il faut bien voir que cela a permis la naissance de l’industrie, car la sidérurgie par exemple, ou les chemins de fer, nécessitaient des capitaux importants. C’est en fait le capitalisme au sein de l’économie qui a permis l’extraordinaire amélioration matérielle de notre société (1). A l’issue de ce bref, très bref tour d’horizon, plusieurs remarques s’imposent.
Les deux capitalismes
Tout d’abord, les capitalistes existent, mais pas le capitalisme en tant que « système ». C’est un élément de notre société mais il est loin d’être seul. Il y a toujours des petits commerçants, des petites et moyennes entreprises, des écoles, des hôpitaux publics, donc d’autres composantes dans l’économie.
De plus, il n’y a plus aujourd’hui un, mais deux capitalismes. En effet on trouve toujours les grandes fortunes dynastiques, anciennes ou récentes (Apple, Microsoft, Amazon ou Facebook sont-ils encore soumis strictement aux règles de l’économie de marché, ou ont-ils les moyens d’y échapper ?), mais aussi une nouvelle accumulation d’argent au travers des institutions financières, compagnies d’assurances ou fonds de pension, qui ont rassemblé l’épargne de millions de personnes.
A cela, il faut ajouter que les deux capitalismes modernes représentent une telle masse de capitaux qu’il y a aujourd’hui ce qu’on appelle une « sphère financière » qui mène sa propre vie et peut créer des crises financières qui ont des effets désastreux sur l’économie réelle, celle dans laquelle les gens travaillent, vivent et souffrent.
Enfin, les décisions prises par la puissance publique n’obéissent pas au capitalisme, ou ne sont pas censées lui obéir, ni d’ailleurs à l’économie de marché. Heureusement, car il y a des valeurs qui ne se marchandent pas ! Les lois sur le travail des enfants en sont un exemple ancien, comme les lois sur la pollution un exemple récent : elles obéissent à des considérations humaines supérieures.
Comment reprendre le contrôle ?
Essayons de conclure. Nous ne vivons pas dans un « système » capitaliste. Nous vivons dans un système multiple où il y a de l’économie de marché, du capitalisme, et d’ailleurs aussi du troc. Avec l’apparition récente de nouvelles formes de production et d’échanges, comme l’économie du partage. Linux et Wikipedia en sont les exemples les plus souvent cités, mais derrière eux se profilent en réalité des milliers et des milliers d’initiatives de par le monde dans de nombreux secteurs d’activités et dans des groupes de population très divers.
On connaît les vertus de l’économie de marché. C’est probablement le mode de production et d’échange qui est le plus en phase avec les valeurs de la démocratie. On connaît aussi les vertus du capitalisme. Par l’accumulation de capitaux, il permet des investissements de grande ampleur qui ont une efficacité incontestable pour nombre de progrès. Mais quand on a dit cela, on n’a parlé que de mécanismes.
Tout se passe comme si les mécanismes économiques suivaient leur propre cours et que plus personne n’en avait le contrôle. On attend des gouvernements qu’ils apportent la prospérité, tandis que les acteurs de l’économie de marché poursuivent leurs propres activités selon leur propre mécanique de développement, et tandis que les capitalistes à l’échelle internationale sont bien plus puissants que des gouvernements locaux et poursuivent leur propre mécanique d’enrichissement. Par quel miracle des intérêts si multiples pourraient-ils concourir au bonheur de tous ? Comment peut-on imaginer qu’une multitude d’instruments puissent jouer une symphonie en l’absence d’une partition et d’un chef d’orchestre ?
Le capitalisme n’a pas d’âme. Pas plus que l’économie de marché. Pas plus que le troc. Pas plus que l’économie du partage n’en aura une, même si son émergence représente une forme nouvelle d’implication. Ce ne sont pas des projets de société. Ce sont des modes de fonctionnement, de production, d’échange.
En fin de compte, la question majeure n’est pas là où on le croit généralement : elle n’est pas dans les mécanismes économiques, mais dans les objectifs que se fixe une société.
Le communisme avait une force. Il avait formulé un rêve. Celui-ci était mal construit, et a transformé les sociétés auxquelles il s’est imposé en lieux d’oppression. Ce sont pourtant les rêves qui font avancer. Les philosophes des lumières, qui rêvaient de respect de la personne humaine, d’éducation et de culture partagée, d’usage de la raison, ont changé le destin de notre société.
La chute du mur de Berlin n’aura servi à quelque chose que le jour où un nouveau rêve sera formulé et partagé.
(1) Signalons le remarquable petit livre de Fernand Braudel « La dynamique du capitalisme ».